Journal de bord : en avant pour la vie de château !
Le jour est déjà levé lorsque je me réveille à sept heures du matin — normalement quoi — en entendant les miaulements du chat de mes hôtes — ce qui ne manque pas de me rappeler Jalna. Le jour est déjà là, mais l'humidité ambiante fait encore régner une certaine fraîcheur dans l'air. Quoi de plus normal puisque ma chambre d'hôtes se trouve sur un bras de terre coincé entre deux cours d'eau, le canal du Berry tout près au nord, et le Cher à moins de cent mètres au sud. Après avoir pris quelques clichés de ce petit havre de paix, je profite encore d'un petit déjeuner bien copieux avant de reprendre la route en direction de Treigny (89), une petite commune d'un peu plus de huit cents habitants située à deux heures et demie de là, aux environs de laquelle toutes mes activités de la journée vont se concentrer.
Tout d'abord la visite du chantier médiéval de Guédélon,
ou mon envie de m'associer pendant quelques heures à cette formidable aventure humaine consistant à créer de toute
pièce un château fort du XIIIème siècle. Sur le chantier, je ne pourrai que me sentir en communion avec
ces aventuriers de l'extraordinaire, qui s'efforcent d'être à la hauteur de leurs ambitions, volonté qui a également été la
mienne en entreprenant ce voyage quelque peu initiatique. La satisfaction de mon esprit n'aura d'égale que celle de son
alter-ego biologique qui, au vu des plats succulents proposés à la Taverne
du coin, me rappellera sans doute
que le travail — même celui effectué par les autres —, çà donne de l'appétit !
Ensuite, j'ai bien envie de m'arrêter au Parc naturel de
Boutissaint, situé à un kilomètre à vol d'oiseau de Guédélon. Parce qu'ici aussi l'idée est intéressante : permettre aux
visiteurs-promeneurs de découvrir les animaux sauvages de la région dans leur milieu naturel, pour certains d'aller les
débusquer, s'approcher d'eux pour les observer, en se sentant réellement en phase avec la nature. Telle est la formule
proposée par ce parc de vision
— le premier a avoir vu le jour en France en 1968 —,
et la garantie pour moi de vivre des moments simples, authentiques, inoubliables.
Enfin, je compte passer la fin d'après-midi à découvrir
le château de Saint Fargeau, un château millénaire, imposant, à l'histoire mouvementée, où le temps s'écoule pourtant
dans le souvenir d'une certaine Anne Marie... celle qu'on surnommait La Grande Demoiselle
!
A se laisser porter par les gens, les coutumes, les senteurs et les évènements du passé, à flâner à un rythme d'un autre
temps, je risque d'en oublier cette notion si essentielle à notre époque moderne qu'est l'heure. Je ne sais pas exactement
à quelle heure je quitterai Saint Fargeau pour le Cottage de
Bourgogne, à Amarilly le Sec (21) où je dois passer la nuit. Mais je sais par contre que je devrais rouler pendant...
deux bonnes heures ! C'est dire qu'en fonction de mes errances médiévales — qui sait ? si les cerfs et les daims de
Boutissaint me capturent au détour d'un chemin — je n'aurai peut-être pas le temps de dîner à l'Hôtel de la Poste, à Chablis (89), pour déguster une spécialité
bourguignonne... bien de notre époque celle là !
Coup de coeur : le chantier médiéval de Guédélon
Pensez donc ! Vouloir construire aujourd'hui un château fort selon les techniques et avec les matériaux utilisés
au Moyen-Âge. Une idée de fou au demeurant. Mais comme la folie va souvent de pair avec le génie, ce projet d'un
autre temps — et hors du temps — est devenu, depuis son ouverture au public en 1998, l'une des principales
attractions de la région.
Mis en oeuvre l'année précédente par Michel Guyot — le propriétaire et restaurateur du château de Saint Fargeau
—, ce formidable projet mobilise chaque année quarante-cinq oeuvriers
et quelque cent soixante-dix bénévoles,
jouant en temps réel — en live
comme on dit aujourd'hui — sous les yeux étonnés des visiteurs
, les rôles de carriers, de tailleurs de pierre, de maçons, de bûcherons, de charpentiers, de forgeron, de
vannier, de cordier, de tuiliers et de charretiers. Tous des passionnés du monde médiéval qui ont décidés de
s'impliquer dans une aventure appelée à se prolonger sur vingt-cinq ans.
Le chantier médiéval de Guédelon n'est pas seulement une prodigieuse aventure humaine, c'est aussi un pari touristique non
moins important, que des flots de visiteurs — entre mars et novembre cette année — permettent de remporter
haut la main. C'est encore un véritable défi pédagogique qui est sans cesse soutenu par l'intérêt que jeunes et moins
jeunes, seuls ou en groupes, manifestent au projet. C'est enfin un véritable champ d'expérimentation scientifique, qui
donnent l'occasion à ces passionnés, mais aussi à ces spécialistes des usages anciens, de redonner la vie à des techniques
quelque peu oubliées de nos jours et qui pourtant — à partir de la pierre, du bois, de la terre, du sable, de
l'argile — assuraient vraiment la sécularisation de ces édifices monumentaux... le toc n'ayant été inventé que bien
plus tard ! En visitant ce chantier d'un autre temps, c'est un peu avec nos cours d'histoire que nous renouons... pour nous
laisser porter par une histoire qui suit son cour !
Découverte : le château de Saint Fargeau
Tout commence à Saint Fargeau peu avant l'an 1000, quand Héribert, le frère naturel de Hugues Capet et évêque d'Auxerre,
entreprit de bâtir un château fort comme rendez-vous de chasse et lieu de retraite. Des siècles durant, le château
passa de main en main, au gré des alliances politiques et des mariages de raison, et devint à la fin du
XVIème siècle la propriété des Bourbon-Montpensier, une famille ducale proche du roi Henri IV, dont la plus
illustre représentante passera à la postérité sous le nom de La Grande Demoiselle
.
Née Anne Marie Louise d'Orléans, elle fut en son temps — dès sa naissance en réalité — la plus riche
héritière du royaume de France et, partant, l'une des femmes les plus courtisées de son époque — comme le
fut d'ailleurs la duchesse Anne de Bretagne un siècle et demi plus tôt.
Petite-fille du roi Henri IV et nièce de Louis XIII, La Grande Demoiselle
était aussi la cousine germaine de Louis
XIV, avec qui son mariage fut un temps envisagé. Le cardinal Mazarin ayant mis un terme à ce projet, elle devint une de
ses ennemies les plus implacables, notamment en rejoignant le parti des frondeurs
qui contestaient l'administration
royale confiée au cardinal par la régente-mère Anne d'Autriche.
Après quatre années de troubles, la paix revint dans le Royaume, et de nombreux opposants et ennemis du roi bénéficièrent à
nouveau de la faveur de ce dernier... mais pas La Grande Demoiselle
! Cette dernière, assignée à résidence
en son château de Saint-Fargeau pour une durée de cinq ans, décida — avec ses amies frondeuses (parmi
lesquelles Madame de Fiesque et Madame de Frontenac) — de mener une vie à la hauteur de sa dignité royale.
Elle entreprit des travaux considérables, faisant refaire les façades de la cour intérieure, aménager de
somptueux appartements et construire un théâtre.
Cependant un siècle plus tard, en 1752, un premier incendie ravagea les trois quarts du château, notamment les toitures et
les luxueux appartements. Un second incendie, en 1853, détruisit quant à lui la Salle des Gardes. Le château de Saint
Fargeau connut alors une lente agonie jusqu'en 1968, date à laquelle il fut vendu par la famille de Madame d'Ormesson
— la maman du célèbre romancier et académicien — à une société belge qui — devant l'ampleur des travaux
à réaliser — le revendit à son tour en 1979 aux frères Guyot, des férus d'histoire et amateurs de vieilles pierres.
Deux hectares de toitures — représentant quelques 750.000 ardoises — étaient à refaire entièrement. Les quatre-
vingt-dix pièces du château étaient vides, dans un état lamentable. A partir d'un budget initial de 200 000 F commençà la
lente mais étonnante restauration du château, soutenue dès 1981 par une association des Amis du château de Saint-Fargeau
,
et relayée par un spectacle son et lumière
retraçant, pendant plus d'une heure et demie, mille années
d'histoire au travers de plusieurs tableaux qui mettent en scène plus de six cents acteurs et soixante cavaliers.
Ce merveilleux spectacle est donné en nocturne durant la saison estivale... tous les vendredis et samedis, autrement dit
trois jours après mon passage ! En dépit de sa qualité, je n'ai pas vraiment le temps d'attendre et puis... il faut bien
que je me repose un p'tit peu, non ?
Itinéraire : Châtillon sur Cher - Ampilly le Sec ( 289 kms - cinq heures de route )
A. Châtillon sur Cher B. Treigny C. Saint Fargeau D. Ampilly le Sec