Journal de bord : France, me revoilà !



Je ne vous apprendrais sans doute pas grand chose en vous disant qu'il est fréquent pour les voyageurs — surtout lorsqu'ils parcourent de grandes distances — de ressentir ce qu'on appelle communément le décalage horaire. Plus rare cependant est le redoutable décalage de culture. C'est t'y quoi au juste, me demanderez-vous ? Eh bien, c'est l'impression — pas franchement agréable — que l'on a lorsqu'on rentre au pays natal... en trouvant toutes les portes fermées ! Vous avez réservé à un hôtel-restaurant, mais personne n'est là pour vous accueillir; vous recherchez une pizzeria dans les environs, vous parvenez à en dénicher une... mais allez savoir pourquoi on n'y sert personne après vingt heures trente; et, en désespoir de cause, vous terminez la soirée dans votre chambre d'hôtel — dont vous avez héroïquement réussi à récupérer la clé — en ingurgitant deux bananes et une barre de Snickers ! Je ne voudrais pas paraître excessivement critique, mais en termes d'hospitalité et de savoir-recevoir, surtout après mon expérience de la veille, je pense que — du côté français — l'on pouvait beaucoup mieux faire.

En me réveillant ce matin, le moins que l'on puisse dire est que j'ai hâte de prendre un petit-déjeuner copieux. Quelle n'est pas ma déception — une nouvelle fois — en ne découvrant sur la table que quelques morceaux de baguette, à consommer au choix... avec du beurre ou de la confiture. Pas vraiment de quoi requinquer le bonhomme que je suis ! Dire qu'à Berlin, pour quelques euros de moins — parce que durant un voyage qui coûte, on s'efforce à tout le moins d'en avoir pour son argent —, je m'étais servi le jour de mon départ : tranches de jambon, de saucissons et de saumons fumés; bol de céréales, puis coupe de fruits; enfin croissants et patisseries maison. Peut-être qu'après avoir été ainsi servi comme un prince des jours durant, je suis devenu un tantinet difficile. Mais difficile ou pas, je sais que, après avoir fait le plein de carburant et rouler pendant deux heures et demie, je vais m'arrêter pour le déjeuner dans un bon restaurant à Péronne (80) — histoire de satisfaire enfin les papilles de mon estomac. Mon premier choix ayant décidé de fermer — lui aussi — pour congés annuels, c'est au restaurant Le Méditerranée qu'incombera le redoutable privilège de me rassasier, un objectif qu'il atteindra haut la main en me servant une généreuse assiettée de crudités, un copieux merguez-frites et deux boules de glaces. L'esprit et le corps désormais repus, je serai prêt à découvrir la fameuse Cité souterraine de Naours, située à une quinzaine de kilomètres au nord d'Amiens (80).

Après avoir beaucoup roulé durant la matinée, il me faudra encore parcourir trois heures de route avant d'atteindre l'hôtel-restaurant Le Soloro, mon étape de la nuit, situé à la Fontaine-la-Soret (27), à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Louviers, non sans m'être préalablement restauré à Saint Etienne du Rouvray (76), à la périphérie sud de Rouen. J'espère que cette fois l'accueil et la générosité seront véritablement au rendez-vous.

Découverte : la Cité souterraine de Naours



Un village au dessus... un village au dessous... Telle est la devise autant que la singularité de ce site où, au fil des siècles et des générations, l'homme a su tirer profit d'un cadre naturel exceptionnel pour travailler, subvenir à ses besoins et... se protéger. Deux mondes, séparés par une trentaine de marches, d'une part un village et son parc animalier de douze hectares, duquel émergent deux moulins à vent classés aux Monuments Historiques, et d'autre part, quelques trente-trois mètres plus bas, une série de galeries souterraines, creusées dans le calcaire, qui composent aujourd'hui un réseau de plus de deux kilomètres de longueur.

La Cité souterraine de Naours Commencées aux environs des IIIème et IVème siècles de notre ère, à l'époque des premières invasions barbares, comme carrières d'extraction de pierre à bâtir pour construire le village, ces galeries (photo ci-contre) furent aménagées à partir du IXème siècle pour protéger les villageois et leur cheptel des nombreuses invasions normandes.
Puis au Moyen-Age, les galeries servirent de cité souterraine au sens propre, les habitants de Naours et des environs, en période d'invasion, s'y installant parfois pour un assez long séjour. On y descendait ainsi avec armes et bagages, mais encore avec son bétail, cette véritable ville en parallèle disposant d'étables avec les auges, de puits pour l'eau, de cheminées d'aération et de cheminées à bois dont la fumée ressortaient dans celles des maisons situées au-dessus, sans oublier l'inévitable chapelle — avec ces deux nefs — et l'indispensable boulangerie. Les familles se groupaient par pièce, par quartier même, le long des galeries aux cellules régulièrement disposées en quinconce — chacune de ces cellules pouvant contenir de quatre à douze personnes —, la capacité d'hébergement des quelques trois cents pièces recensées étant dès lors estimée à deux à trois mille personnes.
Ensuite, jusqu'au règne de Louis XVI, les galeries furent également utilisées comme greniers par les faux-sauniers — les contrebandiers du sel — pour stocker leur précieuse marchandise à l'insu des gabeleux — les commis-percepteurs —, chargés de recouvrer la gabelle ou impôt sur le sel.
Enfin, durant les deux premières guerres mondiales, les vingt-huit galeries abritèrent successivement, entre 1916 et 1918, les troupes anglaises et canadiennes, puis en 1939, les troupes britanniques qui les aménagèrent en réserve à matériel et carburant. En 1941, après l'invasion de la France par l'armée allemande, cette dernière transforma d'abord les muchesles cachettes en picard — en entrepôts à munitions, avant d'y installer un poste de commandement qui resta en fonction jusqu'au débarquement des troupes alliées en Normandie.

De nos jours, la Cité souterraine de Naours se visite avec un audio-guide, une lampe-dynamo à manivelle — lesquels sont gracieusement prêtés lors de l'achat du billet d'entrée — et... une bonne petite laine, surtout si vous êtes du genre frileux. Car été comme hiver, la température ambiante dans les grottes est de 9,5°C. Autant dire que durant votre parcours de visite — comptez une bonne heure pour parcourir les neuf cents mètres du circuit balisé, plus si vous restez déchiffrer les inscriptions sur les parois en calcaire — il vous sera facile d'attraper un bon rhume. Considérez dès lors que je vous aurai prévenus !

Itinéraire : Monthermé - Fontaine-la-Soret ( 406 kms - six heures et demie de route )

A. Monthermé B. Péronne C. Naours D. Saint Etienne du Rouvray E. Fontaine-la-Soret