Journal de bord : attention à l'atterrissage !



Comme l'a dit récemment un grand penseur dont j'ai malheureusement oublié le nom, du moment et de la façon dont vous sautez d'un avion dépendent la manière avec laquelle vous vous réceptionnerez au sol. Une pensée lumineuse que j'ai particulièrement à coeur de tenir compte en cette journée mémorable, celle où je rentre enfin au pays natal. Je dis enfin, non que je sois lassé de mon périple européen — au contraire mes impressions sont telles que j'éprouve le besoin d'en préparer un second —, mais parce qu'à l'instar d'un certain Christophe Colomb, lui aussi parti un p'tit peu à l'inconnu, j'ai hâte de rentrer au port pour parler de mon aventure autour de moi. Ne l'oubliez pas : ce parcours a été pensé pour être entrepris et partagé. D'un autre côté, ayant minutieusement préparé ce voyage pendant près d'une année tel un membre d'équipage d'un vol spatial Apollo, puis évolué de nombreux jours comme en apesanteur en vivant pleinement la réalisation de mon projet, je reste bien conscient toutefois que le retour au pays — et à son quotidien — devra se faire tout en douceur, lentement, progressivement, en respectant impérativement des paliers de décompression, mentalement, moralement, sentimentalement.

C'est avec cette volonté de ménager mon atterrissage — autrement dit mon retour at home —, que je me lève ce matin, pas franchement de bonne heure, ni en grande forme d'ailleurs, parce qu'un peu courbaturé. Je réalise que rouler en voiture est un sport à pratiquer avec modération. Et qu'il faudra que je m'en rappelle à l'avenir. Pendant un instant, j'entrevois ce qu'aurait pû être ma journée — initialement prévue comme la plus longue du parcours — si je ne l'avais pas écourté une quinzaine de jours avant mon départ... Ouf ! Je l'ai échappé belle ! Satisfait de m'en être aussi bien sorti — si je puis dire — je m'en vais prendre mon petit-déjeuner qui, sans égaler ses équivalents berlinois, sera tout à fait honorable, c'est-à-dire à même de me soutenir jusqu'à la pose de midi... un peu plus de deux heures plus tard !
L'esprit apaisé et le corps rassasié, je quitte la Fontaine-la-Soret (27) en direction de la Bretagne en ayant à coeur de réparer une injustice criante : m'arrêter enfin au Mont-Saint-Michel, que je n'ai jamais eu l'occasion — à vrai dire jamais vraiment pris la peine — de visiter en un demi-siècle d'existence. Le religieux monument ne me laissera d'ailleurs pas vraiment le choix : arrivé à hauteur d'Avranches (50), il se fera mon compagnon de route, sans même me demander mon avis. Du genre collant et résolument incontournable, si vous voyez ce que je veux dire !

Il est un peu plus de seize heures lorsque je m'éloigne du Mont-Saint-Michel, préoccupé à l'idée de trouver une station-service pour faire une fois encore — la sixième et dernière — le plein de la voiture qui m'aura transportée durant ce voyage de 4152 kilomètres. Parce que l'heure est proche où je vais enfin pouvoir boucler la boucle. Me dire que mon rêve sera enfin parvenu à devenir une réalité. Et prendre enfin le temps de méditer sur ce que m'aura apporter ce parcours initiatique accompli en solitaire.
En attendant, bien entendu, le prochain numéro...

Découverte : le Mont-Saint-Michel



Planté majestueusement au beau milieu de la baie qui porte son nom, le Mont-Saint-Michel est à la fois une mégastructure architecturale, une des plus petites communes de France et l'un des sites les plus fréquentés du pays.

Le Mont-Saint-Michel La mégastructure, dominée par une statue de l'archange Michel — 4,15 mètres de hauteur pour 1,15 tonnes — positionnée à 157 mètres d'altitude, est par elle-même un échafaudage de constructions entreprises entre l'an 709 — date officielle de l'édification par Aubert, évêque d'Avranches, d'un oratoire en l'honneur du saint archange — et 1897 — année de construction du clocher actuel et de sa flèche, ainsi que de la réalisation de la statue en cuivre laminé, oeuvre du sculpteur Emmanuel Fremiet. La superbe église abbatiale, qui attire de prime abord le regard du visiteur, se démarque d'emblée par deux styles architecturaux différents. D'une part, le style roman de la nef et des transepts, élevés à partir de 1017; d'autre part, le style gothique flamboyant du choeur et des chapelles rayonnantes, qui sont des reconstructions — entre 1446 et 1523 — de sections plus anciennes, suite à un écroulement ou encore un incendie, le Mont-Saint-Michel ayant été à douze reprises la proie des flammes durant l'ère chrétienne. La réalisation étalée de l'église abbatiale, dont le plancher se situe à 78,60 mètres au-dessus du niveau de la mer, constitue en elle-même une véritable prouesse technique, puisqu'elle a nécessitée la mise en chantier, comme support, d'autres bâtiments annexes — cryptes, salle des Hôtes, salle des Chevaliers —, sur le versant en pente du rocher granitique primitif.

Le Mont-Saint-Michel n'est pas seulement un site unique, classé au patrimoine mondial de l'U.N.E.S.C.O. depuis 1979, c'est aussi une commune insolite, une des plus petites de l'Hexagone, qui, outre le fameux rocher qui fait sa réputation — et lui assure bien évidemment une grande partie de ses revenus — possède aussi la digue, qui relie l'îlot au continent, et plusieurs dizaines d'hectares de polders, où sont élevés des moutons dits de pré-salé.
Petite par la taille — environ un kilomètre carré —, la commune se distingue encore par sa population réduite — une quarantaine de résidents dont cinq moines et sept moniales —; par son activité économique démesurée — on dénombre pas moins de trois cents commerces, soit sept... par habitant —; et, fait rarissime, par l'étonnante préservation de tous ses vestiges médiévaux !

Est-il surprenant dès lors que le site du Mont-Saint-Michel soit l'un des plus fréquentés de France ? Il est en tout cas le plus fréquenté de Normandie — parce que, rappelons-le, le site est normand et non pas breton —, avec en moyenne trois millions et demi de visiteurs chaque année et plus de vingt mille visiteurs par jour durant la période estivale. Ce petit joyau touristique se laisse découvrir en deux ou trois heures, auxquelles il est possible d'ajouter deux autres heures — et quelques euros — si l'on souhaite visiter l'abbaye et ses dépendances. En ce qui me concerne, je me suis limité à la première option, parce qu'arpenter les rues et venelles du Mont-Saint-Michel, au terme de quinze jours de vacances bien remplies, c'est aussi et surtout faire de la grimpette ! Que voulez-vous, on ne s'appelle pas mont pour rien, n'est-ce pas ?

Itinéraire : Fontaine la Soret - Morlaix ( 412 kms - cinq heures de route )

A. Fontaine la Soret B. Gouvets C. Mont Saint-Michel D. Morlaix