Journal de bord : ne rien faire que se promener



On l'a pensé. On s'est dit qu'on pouvait le faire. On s'est préparé pendant près d'un an. On a même été jusqu'à s'entraîner les jours précédents. Et puis... sans même s'en rendre vraiment compte... eh bien, on l'a fait. Oui, on a enfin réussi... à passer la frontière franco-allemande ! Certes, me direz-vous, ce n'était pas bien difficile. Un peu tout de même ! Car, comme vous le savez sans doute, du moment et de la façon dont vous sautez d'un avion dépendent la manière avec laquelle vous vous réceptionnerez au sol. C'est pourquoi, j'ai décidé d'y aller en douceur, avant tout pour des motifs... relationnels. Parce qu'en franchissant le Rhin, j'ai dû laisser derrière moi ma condition — oh combien privilégiée — d'autochtone pour devenir, ici, un modeste étranger. Or la difficulté première d'un étranger, c'est — je suis sûr que vous l'avez deviné — de se faire comprendre dans le pays d'accueil... surtout quand il ne parle pas la langue locale — ce qui est beaucoup mon cas. Bien entendu, des contacts m'ont affirmés qu'avec un peu d'anglais, je devrai me tirer d'affaire. Après tout, je suis partant pour essayer. Tout en restant bien conscient cependant que l'anglais, tard le soir ou tôt le matin, je ne l'ai jamais vraiment pratiqué !

Autant dire que la journée va être placée sous le signe de la prise de contact. D'abord avec les gens, des gens au parler différent certes, mais dont la chaleur et la générosité sont souvent rapportées. Aussi avec une cuisine, des recettes et des saveurs originales, qui ne demandent qu'à être goûtées, et cela dès le petit-déjeuner. Enfin avec un pays réputé très industriel mais où — plus encore — la notion de respect de l'environnement n'est jamais pris à la légère. Autant de valeurs qui pour moi sont importantes — et même essentielles — et dont j'entends m'imprégner au rythme oisif de la promenade. C'est dans ce but que je n'ai pas voulu visiter un site en particulier aujourd'hui, souhaitant davantage me laisser porter par le courant de la découverte, et me fondre entièrement dans ce paysage d'un paisible et reposant vert nature.

Parcours détente : la Forêt-Noire



Elzach, près de Biederbach Région touristique par excellence, la Forêt-Noire l'est surtout... pour les Allemands eux-mêmes, qui y descendent par vagues, les vacances estivales — et scolaires en particulier — étant différentes d'une région allemande à une autre. Déjà connue — et appréciée — des Romains, qui l'appelaient silva nigra, la région a toujours conservée depuis lors ce nom descriptif — son équivalent germanique Schwarzwald est attesté depuis le IXème siècle — qui fait référence aux immenses étendues de conifères qui recouvrent ses massifs montagneux, ces derniers étant, géologiquement parlant, la contrepartie outre-Rhin des ballons des Vosges.
Sur le plan géographique, la Forêt-Noire est divisée en trois zones — sud, centre et nord — réparties sur deux réserves naturelles. D'une part, le Naturpark Südschwarzwald au contour de montagne au sud, qui regroupe les sommets les plus élevés de la région, d'imposantes cascades, mais aussi des sites qui attestent de l'ancienne activité volcanique de la région. Un endroit un peu mythique que je n'aurai pas l'occasion de traverser durant ce voyage — mais qui sait si je n'y ferai pas un petit tour l'année prochaine ? Ensuite le Naturpark Schwarzwald Nord-Mitte au nord, qui offre un paysage de plateau vallonné, contrasté, aux multiples facettes, tantôt bocage, tantôt forêt, aux ressources parfois exploitées par les hommes, parfois sciemment laissées dans ce merveilleux état naturel qui a fait sa réputation depuis des siècles. C'est au sud-ouest de cette seconde réserve naturelle que se trouve le petit village de Biederbach , mon étape de la nuit et le point de départ de ma sylvestre promenade de ce jour, à moins de trois kilomètres d'Elzach, que l'on peut voir sur la photo ci-dessus.

Le traditionnel bollenhut Aussi longue que la Bretagne pour une superficie deux fois moindre, la Forêt-Noire offre de nombreux points communs avec ma région natale. Outre leur intense activité touristique, les deux régions sont ainsi réputées pour leurs manifestations culturelles respectueuses des traditions, autant que pour leurs spécialités culinaires.
En Forêt-Noire comme en Bretagne, de nombreux rassemblements permettent tant aux autochtones qu'aux touristes de passage d'assister à des processions et à des danses folkloriques, et de découvrir certains costumes traditionnels. Au nombre de ceux-ci, des coiffes bien souvent insolites, telles la coiffe bigoudenne ou encore la bollenhut badoise (photo ci-contre). Cette dernière, originellement portée dans le district de Kinzigtal, et en particulier dans les villages de Gutach, de Kirnbach (près de Wolfach) et de Reichenbach (près de Hornberg) depuis les environs de 1750, est devenue — au même titre que les fameuses horloges à coucou — un des emblèmes de la région. Caractérisée par ses gros pompons — au nombre de huit à onze, ou plus rarement treize —, cette coiffe indique la civilité de la femme qui la porte, les pompons rouges désignant une femme célibataire, les pompons noirs une femme mariée.
Le costume traditionnel badois assorti de la bollenhut aux pompons rouges aurait inspiré, vers 1915, un pâtissier du nom de Josef Keller, originaire de Bad Godesberg, lorsqu'il composa ce gâteau sublime, aujourd'hui mondialement savouré, qui est connu localement sous l'étiquette Schwarzwälder Kirschtorte et chez nous plus simplement — j'ai envie de rajouter plus banalement — Forêt-Noire. Si cette spécialité badoise a fait le tour du monde, on ne saurait passer sous silence l'incontournable Schwarzwälder Schinken — le Jambon fumé de la Forêt-Noire — qui jouit d'une certification européenne contrôlée depuis 1997. Parmi les autres spécialités de la région : les Maultaschen, une sorte de ravioles farcies de chair à saucisse et d'épinards, que l'on peut consommer avec des oeufs brouillés; et les Schupfnudeln, des petits rouleaux de pâte de pommes de terre oblongs qui se dégustent avec un rôti ou de la choucroute. Autant de petits extras qui méritent d'être goûtées et — bien entendu — approuvées !

Itinéraire : Biederbach - Zella-Mehlis ( 448 kms - cinq heures de route )

A. Biederbach B. Erzgrube C. Zella-Mehlis